15
La « protection » des vampires m’attendait à la sortie du boulot : quand j’ai quitté le bar, j’ai trouvé Bubba planté à côté de ma voiture. Lorsqu’il m’a vue, il a eu ce sourire de tombeur qui faisait craquer ces dames. Je l’ai embrassé, heureuse de le revoir. La plupart des gens n’auraient sans doute pas été ravis de voir débarquer un vampire à moitié demeuré, avec un goût très prononcé pour les chats (saignants de préférence), mais je m’étais attachée à Bubba.
— Depuis quand es-tu revenu dans le coin ? lui ai-je demandé.
Bubba s’était fait surprendre par Katrina, et il lui avait fallu une longue période de convalescence pour s’en remettre. Les autres vampires le recueillaient volontiers, par égard pour la star internationale qu’il avait été avant d’atterrir à la morgue de Memphis, Tennessee.
— Une p’tite semaine. Content d’vous r’voir, mam’zelle Sookie.
Ses canines se sont brusquement allongées pour me montrer à quel point il était content. Elles se sont rétractées tout aussi vite : Bubba savait se contrôler.
— J’ai vu du pays. J’ai été chez des amis. Mais j’ai poussé une p’tite visite à m’sieur Eric au Croquemitaine, ce soir, et il m’a d’mandé si ça m’botterait de jouer les gardes du corps pour vous. Comme j’lui ai dit : « Mam’zelle Sookie et moi, on est super copains.
Alors, ce s’rait cool. » Z’auriez pas acheté un autre chat, des fois ?
— Non, Bubba.
Dieu merci !
— Tant pis. J’ai un peu d’sang dans une glacière, à l’arrière de ma caisse, d’toute façon.
Il a désigné du menton une énorme Cadillac blanche de collection, vraisemblablement restaurée à grands frais.
— Oh ! elle est magnifique !
J’ai failli ajouter : «Est-ce que c’était la tienne avant ? » Mais Bubba n’aimait pas qu’on fasse allusion à sa vie d’humain. Ça le déstabilisait et ça le perturbait. (Cependant, en prenant des gants et en le lui demandant très gentiment, il arrivait qu’il accepte de chanter pour vous. Je l’avais entendu interpréter Love me tender : un moment inoubliable.)
— C’est Russell qui m’l’a filée.
— Oh ! Russell Edgington, le roi du Mississippi ?
— Ouais. Sympa, hein ? Il a dit que comme il était le roi d’mon pays natal, il avait envie d’me donner un truc... spécial.
Il a éclaté de rire parce qu’il avait trouvé la rime.
— Comment va-t-il ?
Russell et son jeune époux Bart avaient tous les deux survécu à l’attentat de Rhodes.
— Super bien, maint’nant. M’sieur Bart et lui, ils sont guéris.
— Heureuse de te l’entendre dire, Bubba. Bon. Alors, comment on fait ? Tu es censé me suivre chez moi ?
— Oui, mam’zelle Sookie. C’est l’idée. Si vous laissez vot’porte ouverte, j’pourrai rentrer, avant le jour, pour dormir dans la planque de vot’chambre d’amis, qu’il a dit, m’sieur Eric.
Encore une chance qu’Octavia ait déménagé ! Je ne sais pas trop comment elle aurait réagi, si je lui avais annoncé qu’elle aurait le King version déterré dans son armoire pendant la journée.
Quand j’ai tourné dans mon allée, j’avais une superbe bagnole de rock-star dans le rétro : Bubba me collait au pare-chocs. Parfait. En arrivant, j’ai vu le pick-up de Dawson garé dans la cour. Rien d’étonnant à ça. Comme Lèn avait décidé d’apporter sa contribution à mon opération «protection rapprochée », le choix de Tray Dawson s’imposait. Et pas à cause de la relation privilégiée qu’il entretenait avec ma coloc. Non seulement Tray bossait comme garde du corps, de temps en temps, mais il habitait tout près.
Quand on a pénétré dans la maison, Bubba et moi, on a trouvé Tray assis à la table de ma cuisine. Pour la première fois depuis que je le connaissais, le lycanthrope, armoire à glace et combattant hors pair, s’est laissé prendre au dépourvu. Il a eu l’air effaré. Mais il a été assez intelligent pour ne rien dire.
— Tray, je vous présente mon ami Bubba, lui ai-je annoncé d’un ton lourd de sous-entendus. Où est Amélia ?
— En haut. Il y a un truc dont j’dois discuter avec vous.
— Je m’en doute. Bubba est ici pour la même raison. Bubba, je te présente Tray Dawson.
— Hé, Tray !
Bubba a serré la main que Tray lui tendait en rigolant parce qu’il avait fait une rime. Le processus de vampirisation ne s’était pas très bien passé, pour lui. Quand on l’avait pris en charge à la morgue, l’étincelle de vie qu’il lui restait était si faible et il était si imbibé de substances multiples et variées qu’il avait déjà eu de la chance de survivre au petit retour d’entre les morts que lui avait offert l’assistant de service ce soir-là – un fan aux dents longues, vous l’aurez compris.
— Hé ! a répondu Tray, avec un enthousiasme que j’ai trouvé mitigé. Comment ça va... Bubba ?
Ouf ! il avait retenu son nom !
— Au poil. J’ai mes p’tites réserves de sang dans la glacière, là, dehors, et mam’zelle Sookie stocke toujours du PurSang dans son frigo. Enfin, c’était com’ça avant...
— Ça n’a pas changé, l’ai-je rassuré. Tu veux t’asseoir, Bubba ?
— Non, mam’zelle. J’crois qu’j’vais juste me prendre une p’tite canette et m’installer dehors. Bill habite toujours de l’aut’côté du cimetière ?
— Toujours, oui.
— C’est sympa d’avoir des copains com’voisins.
Je n’étais pas certaine de pouvoir qualifier Bill de « copain ». On avait un passé trop chargé pour ça, lui et moi. Mais je savais que je pouvais compter sur lui en cas de problème.
— Oui, c’est sympa.
Bubba a fouillé dans le réfrigérateur et en a sorti deux canettes de sang. Il les a levées pour nous saluer et il est parti, avec, aux lèvres, ce légendaire sourire indolent de tombeur impénitent.
— Dieu tout-puissant ! a soufflé Tray. Est-ce que c’est qui je crois qu’c’est ?
J’ai opiné du bonnet en m’asseyant en face de lui.
— Voilà qui explique les fameuses apparitions... Bon. Si vous avez Bubba dehors et moi dedans, ça vous va ?
— Oui. J’imagine que Lèn vous a appelé ?
— Ouais. Écoutez, j’veux pas me mêler de c’qui me r’garde pas, mais ç’aurait été quand même mieux si j’avais eu vent d’l’affaire autrement. Vous auriez dû m’en parler directement. Depuis qu’vous avez parlé à Amélia d’ce type, là, Drake, elle est dans tous ses états parce que apparemment elle a pactisé avec l’ennemi sans l’savoir. Si on avait été au courant, elle aurait pas cafté. J’t’aurais descendu dès l’début et l’affaire aurait été entendue. C'aurait évité pas mal d’ennuis à tout l’monde, vous croyez pas ?
Pas la peine de tourner autour du pot, avec Tray.
— Vous vous mêlez effectivement un peu de ce qui ne vous regarde pas, Tray. Quand vous venez ici en tant qu’ami et que petit copain d’Amélia, je ne vous dis que ce que je peux vous dire sans risquer de vous mettre en danger. Je n’ai jamais imaginé que les ennemis de Niall penseraient à soutirer des informations à ma coloc. Et puis, ça m’a drôlement étonnée que vous ne puissiez pas différencier un humain d’une fée...
Vu sa grimace, le coup avait porté.
— Je comprendrais que vous ne vouliez pas vous charger d’assurer ma sécurité, alors même que votre petite amie vit sous mon toit, ai-je poursuivi. Si le conflit d’intérêts est trop compliqué à gérer, il faut me le dire.
Tray m’a regardée droit dans les yeux.
— Non, je l’veux, moi, ce job, a-t-il affirmé.
Bien que je ne puisse pas lire très nettement dans les pensées des lycanthropes, il était clair, dans son esprit, qu’il voulait surtout protéger Amélia. Et si, en plus, il était payé pour rester là...
— J’aurais deux mots à dire à ce Drake, a-t-il ajouté. J’me suis même pas douté qu’c’était une fée et j’comprends toujours pas comment il s’y est pris pour le cacher. J’ai du nez, pourtant.
Sa fierté en avait pris un coup.
— Le père de Drake peut masquer son odeur, lui ai-je expliqué. Même les vampires s’y laissent prendre. Peut-être que Drake en fait autant. Et puis, ce n’est pas une vraie fée. Il est à demi humain et son vrai nom est Dermôt.
Tray a hoché la tête : il avait enregistré.
De mon côté, j’avais des doutes. J’ai même failli téléphoner à Lèn pour lui expliquer que Tray n’était peut-être pas l’homme de la situation. Mais je me suis ravisée. Tray Dawson était un garde du corps professionnel, et j’étais sûre qu’il ferait le maximum pour me protéger... tant qu’il n’aurait pas à choisir entre Amélia et moi.
— Alors ?
Je me suis rendu compte que j’avais laissé le silence s’installer.
— Bubba fera la nuit et vous le jour, ai-je tranché. Cela dit, je ne devrais pas avoir trop de problèmes tant que je resterai au bar.
Et, sur ces bonnes paroles, j’ai repoussé ma chaise et j’ai quitté la cuisine sans rien ajouter.
Je devais bien admettre qu’au lieu de me sentir soulagée, j’étais encore plus stressée. Moi qui m’étais crue si maligne en demandant aux vampires et aux lycanthropes leur protection, voilà que j’allais m’angoisser pour la sécurité de ceux qui étaient censés veiller sur moi !
Je me suis préparée à aller au lit en traînant. J’ai fini par m’avouer que j’attendais quelque chose : j’espérais plus ou moins qu’Eric ferait une apparition. J’aurais adoré qu’il m’offre une petite séance de relaxation à sa façon pour m’aider à trouver le sommeil. J’étais sûre que je n’allais pas fermer l’œil de la nuit – je redoutais trop une nouvelle attaque pour ça. Mais, en fait, j’étais tellement fatiguée après ma nuit de la veille que, dans le quart d’heure qui suivait, je dormais.
Au lieu de mes cauchemars rasoir habituels (les clients m’appelant à cor et à cri et moi courant dans tous les sens pour garder la cadence ; ma salle de bains envahie de moisissures...), cette nuit-là, j’ai rêvé d’Eric. Dans mon rêve, il était humain et on marchait, main dans la main, au soleil. Bizarrement, il était agent immobilier.
Quand j’ai regardé le réveil, le lendemain matin, il n’était même pas 8 heures : pratiquement l’aube, pour moi. Une sensation de danger me tenaillait. Je me suis demandé si j’avais fait un mauvais rêve que j’aurais oublié, ou si mon sixième sens avait détecté quelque chose pendant mon sommeil, un problème quelconque, un truc suspect...
J’ai pris le temps de passer toute la maison au radar – pas précisément ma façon préférée de commencer la journée. Amélia était partie, mais Tray était là. Et il avait des petits soucis.
J’ai enfilé ma robe de chambre et mes mules pour sortir dans le couloir. Je n’avais pas franchi la porte que je l’ai entendu : il vomissait dans les toilettes.
Il y a des moments, dans la vie, qui devraient rester strictement privés. Et ceux où l’on rend tripes et boyaux arrivent en tête de liste. Mais les lycanthropes ont, normalement, une santé de fer. Or, Tray était manifestement (passez-moi l’expression) malade comme un chien. Et dire que c’était le mec qu’on m’avait envoyé pour assurer ma sécurité !
J’ai attendu une pause.
— Tray ? ai-je appelé. Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ?
— On... m’a em... poisonné, a-t-il répondu d’une voix étranglée, entre deux nausées.
— Est-ce qu’il faut appeler un médecin ? Un humain ? Ou le docteur Ludwig ?
— Non... J’essaie de... m’en débarrasser, a-t-il haleté, après une nouvelle crise de vomissements. Mais... c’est trop tard.
— Vous savez qui vous a donné ça ?
— Ouais... La nouvelle... p’tit’amie...
Sa voix s’est perdue dans des borborygmes. Je préfère vous passer les détails.
— Dans les bois, a-t-il repris au bout d’un moment. La nouvelle... de Bill.
Je n’ai pas pu m’empêcher de demander :
— Mais il n’était pas avec elle, si ?
— Non, elle... (Beurk, beurk !) Elle venait d’chez lui. Elle a dit qu’elle...
Je savais sans l’ombre d’un doute que Bill n’avait pas de nouvelle petite amie. J’en étais sûre parce que je savais qu’il cherchait à me récupérer. Il n’aurait pas pris le risque de me perdre en couchant avec une autre ou, du moins, en permettant à cette autre de se balader là où je pouvais me retrouver nez à nez avec elle.
— C’était une vampire ? lui ai-je demandé, en appuyant mon front contre la porte des toilettes.
J’en avais marre de brailler pour me faire entendre.
— Non. Une mordue.
J’ai senti l’esprit de Tray batailler pour s’extirper du brouillard du poison.
— Enfin, l’avait l’air humaine, du moins, a-t-il repris.
Loup échaudé...
Je ne l’ai pourtant pas raté.
— Oui, comme Dermôt. Et vous avez bu ce qu’elle vous a donné ?
Je sais, un ton aussi incrédule, ça fait mesquin, mais franchement !
— Pas pu... résister, a-t-il répondu. Trop soif... Fallait qu’je boive.
Il avait dû être victime d’un sort qui l’y avait poussé.
— Et qu’est-ce que c’était, ce truc que vous avez bu ?
— Ça avait un goût d’vin...
Je l’ai entendu grogner.
— Nom de Dieu ! a-t-il juré. Ça d’vait être du V ! J’ai l’goût dans la bouche maint’nant !
Le sang de vampire était toujours la drogue branchée du moment. Les réactions qu’il provoquait étaient tellement imprévisibles que se shooter au V revenait à jouer à la roulette russe, avec les risques que ça comportait. Et les conséquences. Les vampires vouaient une haine farouche aux saigneurs, les humains qui s’approvisionnaient en matière première. Non seulement ils les détestaient pour ce qu’ils leur faisaient subir, mais aussi parce que, la plupart du temps, ils abandonnaient leur proie exposée à la lumière du jour. Les vampires haïssaient également les consommateurs de V parce qu’ils créaient le marché. Certains d’entre eux devenaient tellement accros que, parfois, en manque et prêts à tout pour obtenir leur dose, ils jouaient les kamikazes et tentaient de se la procurer directement à la source. Il arrivait également, de temps à autre, qu’un accro au V, pris de folie furieuse, s’attaque aux autres humains, perpétrant de véritables carnages. Toujours est-il que c’était une très mauvaise pub pour les vampires qui cherchaient à s’intégrer.
— Mais comment avez-vous pu faire un truc pareil ? me suis-je exclamée.
— J’ai pas pu m’en empêcher, m’a-t-il répondu, en ouvrant enfin la porte.
J’ai reculé devant ce spectacle : Tray était défiguré. Et s’il n’y avait eu que ça ! Mais il y avait aussi l’odeur : une puanteur épouvantable. Le lycanthrope portait juste un pantalon de pyjama et offrait à mon regard révulsé un large panorama de poitrail velu juste au niveau de mes yeux. Il avait la chair de poule et tous ses poils étaient hérissés.
— Comment ça se fait ?
— J’ai pas pu... résister, a-t-il grommelé, en secouant la tête d’un air dépité. Et puis, quand j’suis rentré, j’suis allé me coucher avec Amélia et j’ai tourné et viré dans lit tout’la nuit. J’étais déjà levé lorsque Elv... Bubba est allé s’coucher dans l’placard. Il m’a parlé d’une femme qui s’rait venue l’voir, mais j’étais tellement mal que j’me rappelle pas c’qu’il m’a dit. C’est Bill qui l’a envoyée ici ? Il vous déteste tant qu’ça ?
J’ai levé la tête pour le regarder droit dans les yeux.
— Bill Compton m’aime, lui ai-je affirmé. Il ne me ferait pas de mal.
— Même maint nant qu’vous couchez avec le grand blond ?
Amélia ne pouvait donc pas la boucler !
— Même maintenant que je couche avec le grand blond.
— Vous pouvez pas lire dans les pensées des vamps, d’après Amélia.
— Non. Mais il y a des choses qu’on sent.
— Ben voyons.
Quoiqu’il n’ait plus assez d’énergie pour railler ma crédulité, c’était bien essayé.
— Faut qu’j’aille me coucher, Sookie, m’a-t-il alors annoncé. J’peux pas m’occuper d’vous aujourd’hui.
Ça me paraissait évident.
— Pourquoi est-ce que vous ne retourneriez pas vous coucher chez vous pour vous reposer tranquillement dans votre propre lit ? lui ai-je proposé. Je vais aller bosser, je ne serai pas toute seule.
— Non, faut qu’on vous couvre.
— Je vais appeler mon frère, dans ce cas, ai-je déclaré, me surprenant moi-même. Il ne travaille pas, en ce moment, et c’est une panthère : il devrait être capable de me défendre.
— D’accord.
Fallait-il qu’il soit mal en point pour capituler si vite ! Sans compter qu’il n’était vraiment pas fan de mon frère.
— Amélia sait qu’j’suis pas dans mon assiette. Si vous la voyez avant moi, dites-lui que j’l’appellerai c’soir.
Sur ce, il a rejoint son pick-up d’un pas chancelant. Je me demandais s’il était vraiment capable de conduire et je l’ai hélé pour m’en assurer. Mais il a juste agité la main par la portière avant de descendre mon allée.
Je l’ai regardé s’éloigner dans une sorte d’état second. J’étais à moitié sonnée. Pour une fois, j’avais joué la prudence, pris toutes les précautions. J’avais fait jouer mes relations pour assurer ma tranquillité. Et qu’est-ce que ça avait donné ? Rien. Ne pouvant m’attaquer directement chez moi – grâce aux boucliers magiques d’Amélia, je suppose –, l’ennemi avait quand même trouvé le moyen de s’en prendre à moi autrement. Murry m’était tombé dessus dès que j’avais mis le pied dehors, et voilà qu’une fée quelconque avait attiré Tray dans les bois pour l’obliger à boire du V. Ça aurait pu le rendre fou. Il aurait pu tous nous massacrer. Quoi qu’il en soit, pour les fées, c’était gagné : bien qu’il n’ait pas été pris d’un accès de folie meurtrière, Tray était tellement malade qu’il était hors de combat, et pour un bon bout de temps.
Je suis repartie vers ma chambre me mettre quelque chose sur le dos. La journée s’annonçait rude, et je me sens toujours mieux lorsque je suis habillée pour affronter une situation de crise. Quelque chose dans le seul fait d’enfiler mes sous-vêtements me donne de l’assurance.
Je traversais le hall quand j’ai eu le deuxième choc de la journée : je venais de percevoir un mouvement dans le salon. Je me suis figée, le cœur battant, et j’ai pris une profonde inspiration pour tenter de me calmer. Mon arrière-grand-père était assis sur le canapé. Mais il m’a fallu un petit moment pour le reconnaître (très stressant, le moment). Il s’est levé et m’a regardée d’un air un peu étonné tandis que je restais plantée là, pantelante, la main sur le cœur de peur qu’il ne saute hors de ma poitrine.
— Tu as l’air d’une sauvageonne, aujourd’hui, m’a-t-il dit en guise de salut.
— Oui... euh... bon... eh bien, je ne m’attendais pas à avoir de la visite, ai-je vaguement bredouillé.
Il n’avait pas meilleure allure que moi, d’ailleurs – un événement. Ses vêtements étaient sales et déchirés, et il me semblait bien qu’il transpirait. Pour la première fois depuis que je le connaissais, mon prince d’arrière-grand-père n’était pas d’une beauté à tomber.
Je suis allée le rejoindre dans le salon et je l’ai examiné de plus près.
— Qu’est-il arrivé ? lui ai-je demandé. On dirait que vous vous êtes battu.
Il a paru hésiter un long moment, comme s’il essayait de faire le tri dans tout un paquet de mauvaises nouvelles à m’annoncer.
— Breandan a vengé la mort de Murry, a-t-il déclaré.
— Qu’est-ce qu’il a fait ?
— La nuit dernière, il a enlevé Enda et, ce matin, elle a cessé de vivre.
A la façon dont il a dit ça, j’ai compris qu’Enda n’avait pas dû avoir une mort très douce ni très rapide.
— Tu ne l’as pas connue ; elle craignait trop les humains, a-t-il déploré d’un ton lourd de regrets, en repoussant une longue mèche de cheveux d’ange, si blonds qu’ils en devenaient blancs.
— Breandan a tué l’une de vos femmes ? Mais je croyais... avec votre faible taux de natalité... Les femmes ne sont pas si nombreuses que ça parmi vous, si ? Alors, c’est encore plus... Je veux dire, est-ce que ce n’est pas particulièrement ignoble de faire une chose pareille ?
— C’était le but, a confirmé Niall d’une voix blanche.
C’est alors que j’ai remarqué son pantalon trempé de sang – ce qui expliquait sans doute pourquoi il ne s’était pas approché pour m’embrasser.
— Je vous en prie, Niall, me suis-je écriée, débarrassez-vous de ces vêtements et allez prendre une bonne douche pendant que je fais tourner la machine. Avec le sèche-lin...
— Il faut que je parte, m’a-t-il annoncé.
Il était clair qu’il ne m’avait même pas entendue.
— Je suis venu ici pour te prévenir en personne, afin que tu mesures pleinement la gravité de la situation. Une puissante magie protège cette maison : j’ai pu apparaître uniquement parce que j’étais déjà venu. Est-il vrai que les vampires et les lycanthropes veillent sur toi ? Tu bénéficies d’une protection renforcée, je le sens.
— J’ai un garde du corps jour et nuit, ai-je menti.
Je ne voulais pas qu’il s’inquiète pour moi. Il avait déjà assez d’ennuis comme ça.
— Et vous savez qu’Amélia est une puissante sorcière, ai-je renchéri. Ne vous inquiétez pas pour moi.
Il me regardait fixement, mais je crois bien qu’il ne me voyait pas.
— Il faut que je parte, a-t-il répété brusquement. Je voulais juste m’assurer que tu allais bien.
— D’accord... euh... merci beaucoup.
J’en étais encore à essayer de trouver une réponse un peu plus fournie quand Niall s’est purement et simplement volatilisé. Pouf !
Je ne sais pas si j’avais vraiment eu l’intention d’appeler Jason quand j’avais dit à Tray que je le ferais, mais, maintenant, je savais que je n’allais pas y couper. Comme je voyais les choses, Lèn avait payé sa dette envers moi, puisqu’il avait demandé à Tray de m’aider. Certes, Tray avait été mis sur la touche dans l’exercice de ses fonctions, mais ce n’était pas son problème. Et je n’allais certainement pas demander à Lèn lui-même de venir le remplacer. Or, je ne connaissais aucun autre membre de la meute – aucun dont je sois assez proche, en tout cas. J’ai donc respiré un grand coup et j’ai appelé mon frère.
— Jason... ai-je commencé quand il a décroché.
— Hé ! sœurette ! Quoi d’neuf ?
Il avait l’air tout excité, comme quelqu’un qui vient de vivre une nouvelle expérience, quelque chose d’exaltant.
— Tray a été obligé de partir et je vais avoir besoin d’un garde du corps aujourd’hui, lui ai-je balancé d’entrée.
Il y a eu un long silence, alors que je m’étais attendue qu’il me bombarde de questions. Bizarre.
— Je me disais que tu pourrais peut-être passer la journée avec moi, ai-je insisté. Aujourd’hui, j’avais prévu de...
Qu’est-ce que j’avais prévu, au juste ? Pas évident de gérer une situation de crise quand la vraie vie continue à exiger son lot d’attention quotidien.
— Eh bien, il faut que j’aille à la bibliothèque et au pressing chercher un pantalon ; il faut que j’aille bosser – je suis d’après-midi, Chez Merlotte, aujourd’hui... Je crois que c’est tout.
— OK. On a vu plus urgent comme courses, mais bon.
Nouveau silence.
Et, tout à coup, il m’a demandé :
— Est-ce que ça va ?
J’ai joué la prudence.
— Euh... oui. Pourquoi ça n’irait pas ?
— Écoute, il m’est arrivé un truc carrément dingue, c’matin. Mel a dormi chez moi, vu qu’il était en vrac après notre petite virée au Bayou, hier soir. Donc, ce matin, super tôt, on a frappé à la porte. Quand j’ai ouvert, il y avait ce type, là, et il était... Il d’vait avoir pété un plomb, j’sais pas, moi. Le truc hallucinant, c’est qu’il me ressemblait comme deux gouttes d’eau.
— Oh non !
Je suis tombée comme une masse sur mon tabouret.
— Il était pas bien, c’mec, Sook, a enchaîné mon frère. Je sais pas quel était son problème, mais il était pas bien. Quand j’lui ai ouvert, il s’est mis à me parler comme si on s’était quittés la veille. Il a débité tout un tas d’salades. Et, quand Mel a essayé d’s’interposer, il l’a envoyé bouler à travers toute la pièce en le traitant d’assassin. Mel se s’rait rompu le cou s’il avait pas atterri sur le canapé.
— Mel n’a rien, alors ?
— Non, il va bien. Il est fou de rage, forcément, mais...
— Forcément, ai-je coupé.
Les états d’âme de Mel ne me passionnaient pas plus que ça.
— Et alors ? ai-je demandé. Qu’est-ce qu’il a fait après ?
— Il a raconté des conneries comme quoi, maintenant qu’il me voyait, il comprenait pourquoi mon arrière-grand-père voulait pas d’moi et qu’il faudrait tuer tous les bâtards, mais qu’j’étais « manifestement la chair de sa chair » et que j’avais le droit de savoir c’qui s’passait. Il a dit que j’étais «ignorant ». J’ai pas pigé grand-chose à son délire et j’sais toujours pas à quoi j’ai eu affaire. C’était pas un vamp, et j’sais qu’c’était pas un changeling quelconque, sinon j’l’aurais senti.
— Mais tu vas bien. C’est l’essentiel, non ?
Est-ce que j’avais eu tort de vouloir protéger Jason en le tenant à l’écart des fées et de leurs histoires ?
— Han han...
Il avait soudain pris un ton soupçonneux.
— T’as pas l’intention d’me dire ce qui s’passe, hein ? a-t-il bougonné.
— Viens à la maison, on discutera, lui ai-je répondu. Et, je t’en supplie, n’ouvre pas ta porte avant de savoir qui est derrière. Ce type est dangereux, Jason, et il n’est pas très regardant sur l’identité de ses victimes. Vous avez eu une sacrée veine, toi et Mel.
— T’es toute seule ?
— Oui, puisque Tray est parti.
— J’suis ton frère. Tu peux compter sur moi, m’a-t-il déclaré, dans un sursaut de dignité plutôt inattendu de sa part.
— J’apprécie, frangin. Vraiment.
J’en ai eu deux pour le prix d’un : Mel accompagnait Jason. C’était un peu gênant parce que j’avais des trucs personnels à dire à Jason dont je ne pouvais pas parler devant Mel. Mais, avec un tact pour le moins surprenant, Mel a subitement informé Jason qu’il devait filer vite fait chez lui chercher de la glace pour son épaule qui était « méchamment esquintée ». Mel n’avait pas passé la porte que je faisais asseoir Jason en face de moi, dans la cuisine.
— J’ai des choses à te raconter, lui ai-je annoncé.
— Sur Crystal ?
— Non, je n’ai encore rien découvert de ce côté-là. C’est à propos de nous deux. Et de Granny. Tu vas avoir du mal à le croire, je te préviens.
Je ne me souvenais que trop à quel point ça m’avait perturbée quand mon arrière-grand-père m’avait révélé les secrets de mon passé. Il m’avait raconté comment mon véritable grand-père, Fïntân, un être mi-humain mi-fée, avait rencontré ma grand-mère et comment elle avait fini par avoir deux enfants de lui : mon père et ma tante Linda.
Maintenant, Fïntân était mort – assassiné –; ma grand-mère était morte – assassinée –, et mon père et ma tante étaient morts eux aussi. Mais mon frère et moi étions encore en vie, et même si nous n’avions qu’une goutte de sang de fée dans les veines, ça suffisait à faire de nous de vraies cibles ambulantes pour les ennemis du prince des fées, autrement dit Niall Brigant, notre arrière-grand-père.
— Et l’un de ces ennemis, ai-je poursuivi, après avoir fait à mon frère ce saisissant résumé de notre histoire familiale, n’est autre que notre grand-oncle, le frère de Fïntân, un être mi-humain mi-fée, lui aussi. Son nom est Dermôt. Il a dit à Tray et à Amélia qu’il s’appelait Drake, mais j’imagine que c’était pour faire plus branché. Dermôt te ressemble, et c’est lui qui s’est pointé chez toi ce matin. Je ne sais pas ce qu’il cherche. Il s’est acoquiné avec Breandan, l’ennemi juré de Niall, bien qu’il soit lui-même à moitié humain : tout ce que Breandan déteste. Alors, quand tu dis qu’il était complètement déjanté, je veux bien te croire. On dirait qu’il a envie de créer un lien particulier avec toi, parce que tu es son portrait craché, mais, en même temps, il te hait, parce que tu es humain.
Jason me dévisageait sans rien dire, avec un regard parfaitement inexpressif. Mais, dans sa tête, ça se bousculait.
— Tu dis qu’il a essayé d’passer par Tray et Amélia pour te rencontrer ? a-t-il finalement demandé. Et qu’aucun des deux savait c’qu’il était ?
J’ai opiné du bonnet.
Du côté de mon frère, il y a eu un nouveau temps de réflexion.
— Mais alors, pourquoi il voulait t’rencontrer ? Pour te tuer ? Pourquoi est-ce qu’il avait besoin de t’rencontrer en premier ?
Bonne question.
— Je n’en sais rien. Peut-être qu’il voulait voir à quoi je ressemblais. Peut-être aussi qu’il ne sait pas ce qu’il veut.
Je ne parvenais pas à comprendre à quoi tout ça rimait. Est-ce que Niall accepterait de revenir pour me l’expliquer, si je le lui demandais ? Probablement pas. Il avait – fallait-il le rappeler ? – une guerre sur les bras, même si cette guerre se déroulait, pour l’essentiel, à l’insu des humains.
— Il y a un truc qui m’échappe, ai-je déploré à haute voix. Murry est venu directement ici pour m’attaquer, et c’était une fée pur jus. Alors, pourquoi Dermôt, qui est dans le même camp, fait tant de... de détours ?
— Murry ?
J’ai fermé les yeux, accablée par ma propre bêtise. Merde !
— C’était un homme-fée. Il a essayé de me tuer. Mais il est hors circuit, maintenant.
— T’assures, Sook, m’a félicitée mon frère, avec un hochement de tête approbateur. Attends, que je comprenne bien. Mon arrière-grand-père veut pas me rencontrer parce que j’ressemble comme deux gouttes d’eau à Dermôt, qui est mon... grand-oncle, c’est ça ?
— C’est ça.
— Mais, apparemment, Dermôt m’aime bien, lui, vu qu’il est v’nu chez moi et qu’il a essayé de parler avec moi.
Ben voyons ! Pour interpréter les choses à sa sauce, on pouvait lui faire confiance !
— C’est ça, ai-je répété.
Mon frère a brusquement sauté de sa chaise pour faire le tour de la cuisine.
— Tout ça, c’est la faute des vampires ! s’est-il écrié en me fusillant du regard.
— Et pourquoi donc ?
J’avoue que je ne m’y attendais pas, à celle-là.
— S’ils étaient pas sortis du placard, on en s’rait pas là. T’as qu’à voir c’qui est arrivé depuis qu’ils sont passés à la télé. C’est simple : tout est parti en vrille ! Et voilà qu’nous aussi, les garous, on est sorti du bois. Il manque plus qu’ces foutues fées. Et les créatures magiques, c’est pas d’la rigolade, Sookie. Calvin m’a mis en garde contre elles. On croit qu’c’est tout sucre, tout miel, ces bêtes-là, mais non. Il m’a raconté des histoires sur elles à te faire dresser les ch’veux sur la tête, Sook. Le père de Calvin en connaissait une ou deux. D’après c’qu’il lui a dit, ce s’rait pas une mauvaise chose si elles étaient rayées d’la carte.
« C’est Niall qui serait content d’entendre ça ! » ai-je songé. Je ne savais pas si j’étais plus surprise qu’en colère ou le contraire.
— Pourquoi es-tu si teigneux, Jason ? J’ai déjà assez de problèmes comme ça, sans devoir, en plus, m’embrouiller avec toi ou t’entendre casser du sucre sur le dos de Niall. Tu ne le connais même pas. Et puis, tu as du sang de fée dans les veines, je te rappelle !
J’avais comme l’impression qu’il n’avait pas tout à fait tort, mais ce n’était vraiment pas le moment d’avoir ce genre de discussion.
Mon frère avait le visage fermé, les traits crispés, les mâchoires serrées.
— J’veux pas d’fée dans ma famille, moi, a-t-il grincé. Il veut pas d’moi ? Eh bien, moi non plus, j’veux pas d’lui. Et si ce fêlé d’bâtard se repointe, je lui ferai la peau, à ce taré.
L’arrivée inopinée de Mel m’a dispensée de lui répondre – je ne sais pas ce que j’aurais pu lui dire, de toute façon. Comme Mel entrait sans frapper, on s’est retournés tous les deux comme un seul homme.
— Oh, pardon ! s’est aussitôt excusé Mel.
Manifestement choqué par la violente colère de mon frère, il a eu l’air de croire un instant que Jason parlait de lui. Mais comme aucun de nous deux ne semblait s’émouvoir de sa brusque réapparition, il a fini par se détendre.
— Excuse-moi, Sookie, a-t-il renchéri, j’ai oublié mes bonnes manières.
Il avait un sac de glace à la main et se déplaçait à pas lents, avec précaution.
— Je suis désolée que le visiteur matinal de Jason s’en soit pris à toi, Mel, lui ai-je dit.
On est censé mettre à l’aise ses invités, non ? Je ne m’étais jamais intéressée plus que ça à Mel, mais, à ce moment-là, j’aurais nettement préféré que Hoyt – l’ex-grand pote de Jason – soit là à sa place. Non que j’aie eu une dent contre Mel. C’était juste que je ne le connaissais pas très bien et qu’il ne m’avait pas inspiré confiance, au premier abord, comme ça arrive parfois avec certaines personnes. Mel était... différent. J’avais beaucoup de mal à lire dans ses pensées, plus qu’avec les autres changelings.
Après avoir offert poliment à Mel quelque chose à boire, j’ai demandé à Jason s’il allait passer la journée avec moi et m’accompagner pendant que je ferais mes courses. J’en doutais, pour être tout à fait honnête. Jason se sentait rejeté par notre arrière-grand-père – même s’il ne l’avait jamais rencontré et ne voulait pas entendre parler de lui –, et c’était le genre de situation que mon tombeur de frère ne savait pas gérer.
— J’vais v’nir, m’a-t-il répondu, sans un sourire et raide comme un piquet. Mais laisse-moi d’abord passer chez moi prendre ma carabine. J’vais en avoir besoin, et ça fait des siècles que j’y ai pas touché. Faut qu’je vérifie dans quel état elle est. Tu viens, Mel ?
Mon frère voulait juste se débarrasser de moi le temps de se calmer. Je pouvais le lire aussi facilement que s’il l’avait écrit en gros sur le bloc-notes placé à côté du téléphone.
Mel s’est levé pour suivre Jason.
— Mel, lui ai-je demandé, qu’est-ce que tu as pensé du visiteur de Jason, ce matin ?
— En dehors du fait qu’il est capable de me projeter d’un bout à l’autre d’une pièce et qu’il ressemble tellement à Jason que j’ai dû me retourner pour être sûr que ton frère était bien derrière moi, pas grand-chose, m’a-t-il répondu.
Mel était habillé avec sa sobriété habituelle : pantalon de toile et polo bien repassés. Mais les bleus qu’il avait sur les bras gâchaient un peu l’effet général. Il a mis un temps fou à poser sa veste sur ses épaules.
— À tout’, Sook, m’a lancé mon frère. Passe me chercher d’ici une petite heure.
Forcément. Il voulait qu’on prenne ma voiture pour que ce soit moi qui paie l’essence. Normal, puisque c’était pour faire mes courses qu’on allait en ville.
— En attendant, t’as toujours mon numéro d’portable, a-t-il ajouté.
— OK.
Me retrouver seule chez moi étant devenu un luxe, ces derniers temps, j’aurais pu profiter de ce que j’avais enfin la maison à moi... si je n’avais pas eu un tueur à mes trousses.
Il ne s’est rien passé. Après avoir avalé un bol de céréales, et en dépit des souvenirs très vifs que j’avais gardés de Psychose, j’ai finalement décidé de prendre une douche. J’ai vérifié que toutes les portes étaient bien verrouillées et j’ai poussé le loquet de la salle de bains. Je suis sûre que j’ai battu le record de la douche la plus rapide du monde.
Personne n’a essayé de me tuer pendant ce temps. Je me suis essuyée, maquillée rapidement, et j’ai enfilé ma tenue de serveuse en deux temps trois mouvements.
Au moment de partir, je me suis plantée derrière la porte de la véranda et j’ai mesuré – remesuré et re-remesuré – des yeux la distance qui séparait ma voiture de la maison. J’ai compté dix pas. J’ai déverrouillé la portière avec la télécommande électronique. J’ai pris trois ou quatre profondes inspirations et j’ai ouvert la porte à la volée. J’ai pratiquement bondi du seuil de la véranda jusqu’à ma voiture, en faisant carrément l’impasse sur l’escalier. Consciente du ridicule de la situation, j’ai ouvert ma bagnole à croupetons. Je me suis glissée à l’intérieur, j’ai claqué la portière et j’ai actionné le verrouillage centralisé. J’ai jeté un regard circulaire.
Pas le moindre mouvement alentour.
J’ai eu une crise de fou rire un peu essoufflé. Quelle gourde !
J’étais tellement sur les nerfs que ça faisait remonter de ma mémoire tous les films d’horreur que j’avais pu voir. Je me suis mise à penser à Jurassic Park et à ses dinosaures – d’accord, il y a vraiment pire comme film d’horreur, mais j’ai dû faire une association d’idées avec les fées qui étaient un peu les dinosaures du monde des Cess. Je m’attendais presque à voir une patte de chèvre atterrir sur mon pare-brise.
Ça non plus, ça n’est pas arrivé. Bon...
J’ai inséré la clé de contact et je l’ai tournée. Le moteur a démarré. Je n’ai pas explosé et je n’ai pas aperçu de tyrannosaure dans mon rétro. Bon, bon...
«Jusque-là, tout va bien », me suis-je dit. Je me suis sentie un peu mieux quand j’ai commencé à rouler. Mais je n’avais pas mes yeux dans ma poche, je peux vous l’assurer. J’ai soudain été prise d’une irrésistible envie d’entrer en contact avec quelqu’un, de faire savoir où j’étais et ce que je faisais.
J’ai sorti mon portable de mon sac et j’ai appelé Amélia. Dès qu’elle a décroché, je lui ai dit :
— Écoute, je roule en direction de chez Jason. Comme Tray est malade, c’est Jason qui va rester avec moi, aujourd’hui. Tu sais qu’une fée a ensorcelé Tray pour le forcer à boire du sang de vampire frelaté ?
— Euh... je bosse, là, Sookie, m’a-t-elle aimablement rappelé. Oui, Tray m’a téléphoné il y a dix minutes. Mais il a été obligé de raccrocher pour aller vomir. Pauvre Tray ! Enfin, au moins, la maison n’a rien.
Il s’agissait de me prouver que ses boucliers magiques avaient tenu. Eh bien, elle pouvait en être fière.
— Tu es géniale.
— Merci. Écoute, je suis vraiment inquiète pour Tray. J’ai essayé de le rappeler et il n’a pas répondu.
J’espère qu’il s’est juste endormi. Mais je vais quand même passer chez lui en quittant le bureau. Pourquoi tu ne me retrouverais pas là-bas ? On discutera de ce qu’on peut faire pour assurer ta sécurité.
— OK. Je filerai là-bas dès que je sortirai du boulot, vers 17 heures.
Le portable à la main, j’ai sauté de ma bagnole pour attraper le courrier dans la boîte aux lettres, au bout de mon allée, puis je suis remontée dans ma voiture comme une fusée.
C’était idiot de ma part. J’aurais pu passer une journée sans regarder le courrier. Mais certaines habitudes ont la vie dure, même les plus futiles.
— J’ai vraiment de la chance que tu habites chez moi, ai-je ajouté.
Peut-être que j’en faisais un peu trop, dans le registre brosse à reluire. C’était pourtant la plus stricte vérité.
Mais Amélia avait suivi le cours de ses propres pensées.
— Tu parles de nouveau à Jason ? Tu lui as dit ? A propos de... tout ça ?
— Bien obligée. Tout ne peut pas se passer forcément comme arrière-grand-papy le voudrait. Il y a eu des... impondérables.
— U y a toujours des impondérables avec toi.
Amélia n’avait pas l’air fâchée en disant ça. Elle ne me reprochait rien : c’était juste une constatation.
— Pas toujours, ai-je cependant rétorqué, après un cruel moment de doute.
« En fait, ai-je pensé, en tournant à gauche à la sortie de Hummingbird Road pour aller chez mon frère, cette idée de Jason, que tout aurait changé à cause du coming out des vamps... il se pourrait bien qu’il n’ait pas tort. »
Plus prosaïquement, je me suis aperçue que j’étais à court d’essence. J’ai été obligée de passer à la station-service. Tout en remplissant le réservoir d’or liquide à la pompe, j’ai repensé à ce que Jason m’avait raconté. Qu’est-ce qui avait bien pu pousser une demi-fée qui vouait une haine farouche au genre humain à sortir de sa sacro-sainte clandestinité pour aller frapper à la porte de mon frère ? Et pourquoi lui avait-elle dit...
Mais je n’aurais pas dû me prendre la tête avec ça. J’avais vraiment d’autres chats à fouetter. J’aurais mieux fait de m’occuper d’organiser ma propre sécurité, au lieu d’essayer de résoudre les problèmes de ma tête brûlée de frère.
Mais, après avoir tourné et retourné ma conversation avec Jason dans ma tête, j’ai commencé à voir un affreux soupçon se profiler à l’horizon...
J’ai appelé Calvin. Au début, il n’a pas compris où je voulais en venir, puis il a accepté de me rejoindre chez mon frère.
J’ai aperçu Jason dans le jardin, en empruntant l’allée de la jolie petite maison que mon père avait construite quand il avait épousé ma mère. Elle était en pleine cambrousse, encore plus loin de Bon Temps que ne l’était le mobile home d’Arlène. Elle ne payait pas de mine, vue de la route, mais il y avait une grande étendue de terrain derrière, et même un étang. Comme mon père, Jason aimait chasser et pêcher. Il avait récemment bricolé un stand de tir. J’entendais des coups de feu, d’ailleurs.
Je suis passée par la maison et j’ai bien pris soin de m’annoncer en arrivant à la porte de derrière.
— Hé ! m’a répondu Jason.
Il tenait une Winchester 94, une arme qui avait appartenu à mon père. Mel se tenait derrière lui, une boîte de cartouches 30-30 à la main : du gros calibre pour la chasse.
— On s’est dit qu’on f’rait bien d’s’entraîner un peu, m’a lancé mon frère.
— Bonne idée. Je voulais juste être sûre que tu ne me prendrais pas pour ton visiteur fou, revenu crier à l’assassin.
Ça l’a fait rigoler.
— J’comprends toujours pas c’que ce brave Dermôt cherchait à faire, en s’pointant comme ça à ma porte.
— Je crois que j’ai ma petite idée sur la question.
Jason a tendu la main vers Mel sans le regarder.
Celui-ci lui a dûment fourni plusieurs cartouches, et mon frère a commencé à recharger sa carabine. J’ai jeté un coup d’œil au chevalet qu’il avait dressé, avec des bouteilles de lait vides en guise de cibles. J’ai examiné celles qui étaient tombées. Il les avait remplies d’eau pour qu’elles tiennent et, à cause des trous qu’avaient faits les balles, le liquide se répandait par terre.
— Jolis coups ! l’ai-je félicité.
J’ai inspiré à pleins poumons et j’ai hélé son grand copain.
— Dis donc, Mel, est-ce que tu pourrais me parler des enterrements à Hotshot ? Je n’y ai jamais assisté, et comme Crystal sera sans doute inhumée dès qu’on aura récupéré le corps...
Mel a paru surpris.
— Ça fait des années que je ne vis plus là-bas, tu sais, a-t-il objecté. C’est juste que... c’est pas un endroit pour moi.
S’il n’y avait pas eu ses ecchymoses, qui s’estompaient déjà, rien n’aurait permis d’imaginer qu’une demi-fée hystérique l’avait fait valdinguer à travers le salon de mon frère.
— Je me demande bien pourquoi ce type s’en est pris à toi et pas à Jason, ai-je murmuré d’une voix songeuse.
J’ai senti la vague de peur qui le submergeait.
— Tu as mal ? me suis-je inquiétée, pleine de sollicitude.
Il a un peu remué son épaule droite.
— J’ai cru que je m’étais cassé quelque chose, mais j’imagine que je vais juste jongler un peu. Je me demande bien ce qu’il était. Pas un d’entre nous, en tout cas.
J’ai vu Jason se rengorger d’un air qui semblait dire : « Tu vois, Sook, j’ai pas vendu la mèche. »
— Il n’est pas vraiment humain, ai-je concédé.
— Eh bien, ça me rassure, a avoué Mel, visiblement soulagé. Ma fierté en a quand même pris un sacré coup. Je suis une panthère pur sang, j’veux dire, et il m’a envoyé valser comme un vulgaire pantin.
Jason a éclaté de rire.
— J’ai bien cru qu’il allait entrer dans la maison pour me tuer, à c’moment-là. J’me suis dit qu’j’étais foutu. Mais, quand Mel est allé au tapis, ce type s’est juste mis à m’parler. Mel faisait l’mort, et voilà qu’ce mec commence à m’dire qu’il m’a rendu un sacré service en...
— Oui, c’était drôlement bizarre, a approuvé Mel – mais il n’avait pas l’air très à l’aise. Tu sais, je me serais levé tout de suite, s’il t’avait attaqué. Mais il m’avait drôlement sonné, et j’ai estimé que je pouvais bien rester à terre, vu qu’il n’avait pas l’air de vouloir s’en prendre à toi.
— J’espère que tu n’as vraiment rien, Mel, ai-je insisté sur ce même ton préoccupé, tout en m’approchant de lui. Laisse-moi donc regarder cette épaule.
En me voyant tendre la main vers son grand copain, Jason a froncé les sourcils.
— Mais pourquoi tu...
Il s’est brusquement interrompu. La méfiance s’était peinte sur son visage. Sans rien ajouter, il est passé derrière Mel et l’a agrippé par les bras, juste en dessous des épaules. Mel a grimacé de douleur, mais n’a rien dit. Pas un mot. Il n’a même pas cherché à feindre la surprise ou l’indignation. C’était déjà, en soi, presque un aveu.
J’ai pris son visage entre mes mains et j’ai fermé les yeux. Cette fois, ce n’était pas à Jason que Mel pensait, mais bien à Crystal.
— C’est lui, ai-je tranché.
J’ai rouvert les yeux pour regarder mon frère pardessus l’épaule de Mel et j’ai hoché la tête. J’aurais pu tout aussi bien incliner le pouce vers le sol : je venais de signer son arrêt de mort.
Jason a poussé un cri sauvage, inarticulé. J’ai vu Mel se décomposer, comme si tous les muscles et tous les os de son visage fondaient.
— Laisse-moi te regarder, a-t-il demandé d’une voix suppliante.
La plus parfaite incompréhension se lisait dans les prunelles de mon frère. Mel me regardait en face. Il ne pouvait pas faire autrement, d’ailleurs, vu la façon dont Jason le tenait. Il ne se débattait pas. Mais ses muscles bandés à mort se dessinaient sous sa peau, et je me suis dit qu’il n’allait sans doute pas demeurer passif très longtemps. Je me suis penchée pour récupérer la carabine de mon frère, en le bénissant mentalement de l’avoir rechargée.
— C’est toi qu’il veut regarder, pas moi, lui ai-je expliqué.
— Nom de Dieu !
Jason avait la respiration saccadée, le souffle court, comme s’il venait de piquer un cent mètres, et ses yeux étaient exorbités.
— Tu vas m’dire pourquoi ! s’est-il égosillé.
J’ai reculé et j’ai pointé mon arme sur Mel. À une si courte distance, même moi, je ne pouvais pas le rater.
— Retourne-le, puisque c’est à toi qu’il veut parler.
Jason a brusquement fait pivoter Mel et l’a aussitôt empoigné pour l’immobiliser. Ils se faisaient face, à présent, leurs deux visages à moins de trente centimètres l’un de l’autre.
C’est alors que Calvin est apparu à l’angle de la maison. Dawn, la sœur de Crystal, était avec lui. Il y avait aussi un garçon d’une quinzaine d’années qui les suivait. Je me suis souvenue de l’avoir vu au mariage. C’était Jacky, l’aîné des cousins de Crystal. Comme tout ado, Jacky était saturé d’émotions et de frustrations en tout genre, ce qui faisait de lui une vraie bombe à retardement ambulante. Il s’efforçait pourtant de ne rien laisser paraître de la nervosité et de l’exaltation qui l’agitaient. Mais ça le tuait de devoir se contenir et afficher un sang-froid qu’il était loin de ressentir.
Les trois nouveaux venus ont embrassé la scène qui se jouait sous leurs yeux. Calvin a hoché la tête, la mine grave et solennelle.
— Sale journée, a-t-il posément commenté.
Mel a sursauté en entendant la voix du leader de Hotshot. En revanche, en voyant les autres panthères-garous approcher, Jason a commencé à relâcher un peu la pression.
— Sookie dit qu’c’est lui, a-t-il annoncé à Calvin.
— Ça m’suffit, lui a répondu l’intéressé. Mais, Mel... il faut qu’les aveux viennent de toi, mon frère.
— Je ne suis pas ton frère, a riposté Mel, l’air revêche. Ça fait des années que j’ai quitté la communauté.
— C’était ton choix, lui a fait remarquer Calvin, en venant se planter devant lui, entraînant les deux autres à sa suite.
Fini de jouer, pour Jacky. Il avait renoncé à feindre un calme de commande. Il grognait, à présent : l’animal qui sommeillait en lui s’était réveillé.
— Il n’y avait personne comme moi, là-bas, a soupiré Mel. J’aurais été tout seul.
Jason a eu un regard de totale incompréhension.
— Mais il y a des tas de types comme toi à Hotshot ! a-t-il protesté.
— Non, Jason, lui ai-je expliqué. Mel est gay.
— Et on a quelque chose contre ça ? s’est enquis mon frère en se tournant vers Calvin.
Jason n’était manifestement pas au fait de toutes les règles du jeu de la communauté. Certaines questions lui avaient échappé.
— Ce que les gens font dans leur lit ne regarde qu’eux, a précisé Calvin. On n’a pas d’problèmes avec ça. À condition qu’ils accomplissent leur devoir envers le clan. Quoi qu’il arrive, les mâles pur sang doivent donner un p’tit à la communauté.
— Je ne pouvais pas, a déclaré Mel d’une voix brisée. Je n’pouvais tout simplement pas.
— Mais tu as été marié, ai-je objecté.
J’aurais mieux fait de me taire. C’était une affaire de clan, maintenant. Je n’avais pas appelé Bud Dearborn, mais Calvin – si ma parole suffisait au chef de clan de Hotshot, elle n’aurait aucune valeur devant une cour d’assises.
— Notre mariage n’a pas fonctionné, à ce niveau-là, a confessé Mel.
Sa voix était presque redevenue normale.
— Ça l’arrangeait bien : elle avait d’autres chats à fouetter, a-t-il ajouté. On n’a jamais eu de... relations sexuelles conventionnelles.
Si je trouvais déjà ça déprimant, je n’osais pas imaginer ce que ça avait dû être pour Mel. Mais, quand j’ai repensé à Crystal sur sa croix, j’ai oublié jusqu’au sens du mot «pitié ».
— Pourquoi as-tu fait ça à Crystal ? lui ai-je demandé.
Je pouvais capter la colère qui grondait dans tous les cerveaux autour de moi et je savais que le couperet n’allait pas tarder à tomber.
Le regard de Mel a quitté le mien pour effleurer Jason, avant de se perdre, par-delà l’oncle, la sœur et le cousin de sa victime, dans le lointain. Il a semblé se river aux branches dénudées des arbres, de l’autre côté des eaux brunes et paisibles de l’étang.
— J’aime Jason, a-t-il déclaré d’une voix sans timbre. Je l’aime. Et Crystal l’a déshonoré, lui et l’enfant qu’il lui avait donné. Puis elle m’a humilié... Elle est venue ici, ce jour-là... J’étais passé chercher Jason pour qu’il m’aide à monter des étagères au magasin. Mais il n’était pas là. Elle est arrivée alors que j’étais en train d’écrire un mot à Jason, sur la terrasse. Elle a commencé à balancer que... Elle a dit des trucs horribles. Puis elle a déclaré que je devais coucher avec elle, que, si je le faisais, elle le leur dirait, à Hotshot, et je pourrais retourner vivre là-bas. Et Jason pourrait venir vivre avec moi. Elle a dit : « J’ai son bébé dans l’ventre. Ça t’excite pas ? » Et c’était de pire en pire. J’avais abaissé le hayon de mon pick-up parce que les planches que j’avais apportées dépassaient. Elle s’est allongée dessus et je voyais tout. C’était... Elle était... Elle arrêtait pas de dire que j’étais qu’une lopette, une folle, une tantouze et que Jason se ficherait d’moi... Alors, je l’ai frappée de toutes mes forces.
Dawn Norris s’est détournée comme si elle avait la nausée. Mais elle a serré les dents et, la bouche réduite à un trait balafrant son visage crispé, elle s’est vaillamment redressée. Jacky n’était pas de la même trempe.
— Mais elle est pas morte à ce moment-là, est parvenu à articuler mon frère entre ses mâchoires crispées. Y avait du sang tout au long d’la croix. Elle a perdu l’bébé après avoir été crucifiée.
— J’en suis désolé, a soupiré Mel.
Son regard flou a quitté la profondeur des bois pour se river sur mon frère.
— J’ai cru que je l’avais tuée, lui a-t-il expliqué. Je l’ai vraiment cru. Je n’l’aurais jamais abandonnée pour rentrer dans la maison si j’avais su qu’elle était encore en vie. Je n’aurais jamais laissé quelqu’un d’autre la prendre. C’est déjà terrible, c’que j’ai fait, parce que j’ai voulu la tuer. Mais je ne l’ai pas crucifiée. Il faut me croire, Jason. Tu peux penser ce que tu veux de moi parce que je l’ai battue, mais j’aurais jamais fait un truc pareil. Je me suis dit que, si je l’emmenais ailleurs, personne ne pourrait penser que c’était toi le coupable. Et puis, je savais que tu devais sortir, ce soir-là, et j’ai pensé que tu aurais un alibi. Je me suis dit que tu finirais la soirée avec Michele, a-t-il plaidé en souriant à mon frère, avec une telle tendresse dans les yeux que j’en ai eu le cœur serré. Alors, je l’ai laissée à l’arrière du pick-up et je suis rentré dans la maison pour me servir un verre. J’en avais bien besoin. Et, quand je suis ressorti, elle avait disparu. Je n’arrivais pas à le croire. J’ai même imaginé qu’elle s’était relevée et qu’elle était partie. Mais il n’y avait pas de sang, et le bois avait disparu aussi...
— Pourquoi Chez Merlotte ? a demandé Calvin, dans un grondement plus félin qu’humain.
— Je ne sais pas, Calvin.
Le visage de Mel avait quelque chose d’angélique, tout à coup, tant il était soulagé de se voir délivré du secret de sa culpabilité, soulagé d’avoir confessé son crime et son amour pour mon frère.
— Calvin, a-t-il repris, je sais que je vais bientôt mourir et je te jure que je n’ai aucune idée de ce qui est arrivé à Crystal après que je l’ai quittée pour rentrer dans la maison. Ce n’est pas moi qui lui ai fait subir ces horreurs.
— Je sais pas ce qu’il faut penser de tout ça, a reconnu Calvin. Mais on a ta confession, et il faut que justice soit faite.
— Je l’accepte, a calmement affirmé Mel. Je t’aime, Jason.
Dawn a tourné légèrement la tête, juste assez pour que son regard puisse croiser le mien.
— Vous feriez mieux de filer, m’a-t-elle conseillé. On a des choses à faire.
Je n’ai rien dit. J’ai fait demi-tour, la carabine à la main, et je suis partie. Je ne me suis pas retournée, même quand les autres panthères ont commencé à tailler Mel en pièces. Mais j’ai entendu...
Il a cessé de crier au bout d’un moment.
J’ai laissé la carabine de mon père sur la terrasse et je suis allée bosser. Bizarrement, avoir un garde du corps ne me paraissait plus si important, à présent.